On a vu dans l’article précédent, consacré au fablabs artistiques, que des écoles d’art hébergent des fablabs, comme l’Ecole Supérieure d’Art de l’Agglomération d’Annecy. Les fabbikers ont visité des fablabs dans des universités dont les enseignements recouvrent d’autres disciplines, notamment des départements d’informatique (université de Bratislava, en Slovaquie ; université de Brême en Allemagne, université libre de Belgique à Bruxelles). A Lille, deux écoles d’ingénieurs (Ecole Centrale et Polytech) disposent également de fablabs, initiés suite à des demandes des départements de mécanique, électronique, informatique et automatique pour l’Ecole Centrale.
- Des fablabs par et pour la communauté universitaire ?
Ces fablabs sont surtout, voire uniquement, fréquentés par les étudiants des universités qui les accueillent. Ainsi, 80% des projets réalisés au fablab de Bratislava émanent d’étudiants (la plupart architectes, une autre discipline très représentée dans les communautés des fablabs universitaires). Imagine & make, le fablab de l’Ecole Centrale, est quant à lui réservé aux étudiants et personnels de l’école, de même que la fabricarium de Polytech Lille.
Les personnes en charge de l’animation des fablabs universitaires sont également du personnel des universités ou étudiants. L’UrLab (université libre de Belgique), en tant qu’association d’étudiants, n’est ouvert que lorsqu’un des quinze membres actifs (qui ont les clés du local) est présent. La direction de l’université leur impose par ailleurs une fermeture pendant les examens. L’Ecole Centrale de Lille a, quant à elle, aménagé les horaires de certains professeurs pour qu’ils puissent ouvrir Imagine & Make. Ils interviennent en complément d’élèves ayant le statut de « superviseur ».
Cette faible mixité des publics s’explique notamment par le lieu d’implantation : établis pour la quasi-totalité au sein des locaux universitaires, les fablabs ne sont connus que des membres de la communauté universitaire. La structure juridique peut également jouer : les deux fablabs de Lille par exemple n’ont pas d’existence juridique, ce qui implique que leur accès soit réservé (pour des raisons d’assurance notamment) aux personnels et aux étudiants.
Certains fablabs universitaires sont cependant ouverts au grand public sur certaines plages horaires. L’Ecole Supérieure d’Art de l’Agglomération d’Annecy est ouverte au grand public les mercredis après-midi et samedis impairs après-midi. Ces plages d’ouverture sont possibles grâce à l’embauche d’un fabmanager à temps complet. Le fablab de Bratislava, charté MIT, dispose également de deux personnes à temps plein et est ouvert au grand public. Imagine & Make ambitionne d’intégrer le réseau du MIT, pour bénéficier du renom et jouer un rôle de vitrine de l’Ecole Centrale. Pour répondre à la charte, le fablab devra ouvrir sur certaines plages à tous types de publics.
- L’autonomie des fablabs universitaires en question
Plusieurs des fablabs universitaires visités par les fabbikers n’ont pas d’existence juridique. C’est ainsi le cas du fablab de Bratislava, émanation du centre slovaque d’information scientifique et technique, d’Imagine & Make et du fabricarium à Lille. Cette assimilation peut représenter un manque de souplesse dans le fonctionnement au quotidien et un frein au développement des fablabs. Ainsi, le fabricarium est en train de monter une association, notamment pour faciliter les achats et reventes de matériaux, qui passent aujourd’hui par le budget de l’université.
Cependant, la pérennité financière du fablab de Brême, qui est récemment devenu une association à part, semble compromise : l’indépendance juridique implique également de trouver des ressources financières. L’indépendance entraine également plus de responsabilité, que certains professeurs impliqués dans l’animation du fablab n’ont pas voulu assumer : le fablab a de ce fait perdu une partie de ses personnes ressources.
Les relations vis-à-vis de l’université « mère » est donc un enjeu important des fablabs universitaires. Dans l’exemple du fablab de Brême, le passage à une structure indépendante et le déménagement l’ont mis en difficulté : la création d’une structure ad hoc suppose en effet un bouleversement dans le fonctionnement de ces fablabs. Un statut autonome, mais permettant toutefois de bénéficier des ressources et réseaux des universités semble plus pertinent pour ces fablabs. C’est en effet leur proximité avec l’écosystème universitaire, y compris la recherche, qui fonde leur spécificité. Une indépendance signifie le passage dans une autre catégorie de fablab, avec un risque important de perte de la communauté « noyau », et donc de la principale valeur ajoutée des fablabs : leurs talents.
- Un rôle d’entremetteur entre différents talents bien réel
Que ce soit les utilisateurs ou les équipes, on constate que la communauté universitaire est quasiment exclusive. Toutefois, cette caractéristique ne doit pas masquer la capacité des fablabs à créer des liens, des passerelles entre différents domaines. Ainsi, d’après les acteurs interrogés par les fabbikers, la création du fabricarium et d’Imagine & Make répondent au besoin de créer de la transversalité entre les différents départements d’enseignement des écoles d’ingénieurs concernées. A Bratislava, le fablab a été créé sur l’impulsion d’un professeur en informatique, mais concerne aujourd’hui beaucoup d’étudiants architectes, signe de l’ouverture du fablab au fil de son existence. Pour le fablab de Bratislava, la création d’une structure juridique autonome est allée de pair avec un déménagement dans le centre-ville, proche de la gare, dans les anciens locaux de la poste. Cette localisation devrait avoir des effets sur la diversité du public accueilli également.
Les fablabs universitaires sont donc un outil de mise en transversalité des enseignements, qui peuvent également soutenir « l’écosystème de l’innovation », notamment les relations entre recherche et entreprenariat. Le fabricarium développe ainsi à la fois des synergies avec les laboratoires universitaires, vers qui il oriente les étudiants intéressés, et avec l’incubateur. Le fablab de Bratislava a quant à lui été créé grâce à un projet, cofinancé par l’Union Européenne, de soutien à l’entreprenariat. L’indépendance du fablab de Brême a quant à elle été rendue possible grâce au soutien financier de l’entreprise SWB.
- De passerelle avec le monde de l’entreprise à support de développement économique : un nouveau rôle pour les fablabs universitaires ?
Pour gagner en autonomie, les fablabs universitaires peuvent légitimement ouvrir leurs portes au monde de la recherche et aux entreprises innovantes : en tant qu’outil de fertilisation croisée entre différentes disciplines, et entre étudiants, professeurs et chercheurs, ils ont des atouts à faire valoir. C’est le cas par exemple de la fabrique Paris-Saclay de l’Ecole Centrale de Paris, qui vise à accompagner les projets technologiques de ces différents acteurs. Le succès de cette ouverture envers les entreprises dépendra entre autres de la posture de l’équipe pédagogique. Certaines disciplines ou cultures d’établissement d’enseignement seront plus propices à de tels développements. Pour jouer pleinement ce rôle d’interconnexion entre ces différentes communautés, l’indépendance des fablabs n’est pas toujours souhaitable car cela peut conduire à perdre les relations privilégiées avec la communauté universitaire. Par ailleurs, le maintien dans le cadre universitaires permet à ces fablabs de continuer à bénéficier des services supports (administration, accueil, entretien, …) et des infrastructures (immobilier, autres équipements techniques).
Dans l’enseignement professionnel ou l’apprentissage, la fabrication par commande numérique gagnerait à s’inspirer du modèle des fablabs. En effet, la fabrication additive gagne de plus en plus de secteurs industriels et est déjà utilisée pour des moyennes séries (quelques milliers de pièces par an) dans certains secteurs en pointe (ex : aéronautique, armement). Au Bade-Württemberg, en Allemagne, le land soutient ainsi financièrement les écoles mettant en place des « usines d’apprentissage » dans le cadre de sa politique Industrie 4.0. Ce programme vise exclusivement les formations en apprentissage où les apprentis sont accueillis dans des PME, afin de favoriser la diffusion de ces technologies dans le tissu économique local.