Le dernier article était consacré aux fablabs universitaires, qui, s’ils sont centrés sur la communauté universitaire (étudiants et personnel de l’université) sont pour certains ouverts aux entreprises. Les fablabs professionnels sont également des lieux de rencontre entre entreprises et monde universitaire. Parmi les fablabs visités par les fabbikers, trois ont été mis en place par et/ou pour des entreprises.
- Des lieux de rencontre
Le Bricolab est aujourd’hui avant tout considéré comme un outil pour améliorer les relations sociales au sein de l’entreprise, à l’image de la conception du bâtiment TerrAdeo (qui comprend de nombreux espaces conviviaux). Sont ainsi organisés les caféIn, des temps d’échanges libres avec la direction.
Plus largement, le Bricolab ouvre ses portes aux entreprises et étudiants, et organise leur rencontre. Par exemple, le « 54h chrono » vise, sur 3 jours, à outiller le passage de l’idée au projet sur le thème de l’habitat et du cadre de vie, avec pitch et ateliers de formation. Le fablab de Budapest, s’il attire des entreprises (qui peuvent privatiser l’espace si besoin), est également fréquenté par des étudiants. Le Kreatorlab a également mis en place des ateliers hebdomadaires pour les enfants (9 ans et plus).
- Des outils pour la mise au point de produits
Le Kreator lab est une émanation de l’IRNAS, un institut pour le développement des systèmes appliqués. L’IRNAS a été financé par une fondation pour l’innovation ouverte : l’ensemble de ses produits sont en open source, et les plans sont téléchargeables depuis leur site internet. Dans ce contexte, le kreator lab est conçu comme un outil pour développer de nouveaux produits de manière ouverte et libre, ainsi que comme un lieu de transfert de connaissances. L’IRNAS a ainsi inventé grâce aux installations du kreatorlab plusieurs machines dans le but de créer des micro-industries de production de hardware open source pour 10k€. Les plans de ces machines sont téléchargeables, et l’IRNAS propose des kits pour le montage.
Le Bricolab est quant à lui implanté dans les locaux du siège social d’Adeo, la société parapluie de Leroy Merlin. Ce siège social, TerrAdeo, a été conçu comme un « campus », lieu de formation des collaborateurs, mais aussi des artisans partenaires (en collaboration avec les apprentis d’Auteuil), des clients ou des futures recrues. Dans cette perspective, le bricolab a d’abord été pensé comme un lieu permettant la co-création des produits liés à l’habitat durable. Cependant, le bricolab a été réorienté, l’idée de départ n’ayant pas donné de résultats satisfaisants (en libre-service, les machines étaient souvent détériorées). Aujourd’hui, il est ouvert sur la pause déjeuné pour les employés, et peut être loué à la demi-journée par des organismes extérieurs (notamment les entreprises). Cinq projets développés au sein du bricolab ont obtenus par la suite le soutien financier de la direction de l’entreprise pour leur développement. Des kits pour favoriser la culture intraprenariale sont également en cours d’élaboration sur le dépôt de brevet ; le prototypage, le business plan etc.
Dans ces deux exemples, l’objectif est donc de renforcer la créativité des équipes de l’IRNAS et d’Adeo en s’appuyant sur un lieu d’innovation ouvert et échappant aux règles et processus encadrés de l’entreprise. Au contraire, la fablab de Budapest « vend » la créativité de son équipe et sa maitrise du parc machine pour des entreprises extérieures, notamment les grands groupes (ex : Siemens).
Dans le cas du fablab de Budapest comme dans celui du Kreatorlab, l’approche par projet prend clairement le pas sur une approche par fonctions du fablab : les financements par exemple sont obtenus auprès d’organismes extérieurs (la fondation pour le kreatorlab et les entreprises clientes pour le fablab de Budapest) pour des projets précis.
- Les fablabs professionnels, un nouveau modèle d’usine ?
Chacun de ces trois fablabs représente une évolution de l’industrie. Le Bricolab représente une évolution des relations entre salariés et entreprise, avec une recherche de plus grande horizontalité, et une évolution des fonctions au sein de l’entreprise, avec la remise en cause – à la marge cependant – de la division entre R&D, méthodes et production. Le SEBlab, implanté à Dardilly, est un autre exemple de lab proposant de remettre en cause la distinction entre les différentes fonctions du cycle de la créativité et de l’innovation, au sein du groupe Seb. Chaque branche de l’entreprise peut ainsi solliciter une session au lab, qui vise à créer une unité de temps, de lieu et d’action pour mieux mobiliser les ressources et compétences des collaborateurs et accélérer le passage de l’idée à l’innovation et à la phase de test.
Le Kreatorlab est quant à lui un exemple d’entreprise de production open source et coopérative, dont l’un des objets est la relocalisation de la production en inventant des machines permettant d’équiper à bas coût des ateliers de fabrication. Le fablab de Budapest de son côté propose une offre de prestation de prototypage d’un nouveau type, où client et fournisseur font momentanément partie d’une même équipe « de projet ».
En France, on peut citer les exemples de l’usine IO (Paris) ou de You factory (Lyon), qui vont dans le sens de ces évolutions de modèles du secteur industriel. Ce qui les distinguent notamment, c’est la qualité des équipements proposés, permettant un travail plus précis, ou à des échelles plus importantes. Mais leur plus-value par rapport à d’autres types de fablabs, c’est la mise en avant des profils de leurs membres : les projets qu’ils ont menés, leurs compétences. En plus de proposer un lieu équipé et une équipe pouvant accompagner les projets professionnels à la manière des incubateurs ou des accélérateurs (pitch, études techniques, ateliers de formation au marketing etc.), ils cherchent à faciliter et rendre naturels les partenariats entre membres aux compétences complémentaires. La mise en commun des moyens de production, que ce soit les machines ou les ressources humaines, permet à cette communauté de créer davantage de valeur ajoutée que dans le cas de structures isolées, avec des relations traditionnelles prestataire/ donneur d’ordre.
- L’intraprenariat comme modèle de transition ?
L’entreprise en réseau est une tendance protéiforme, mais qui s’installe. Que ce soit par l’externalisation, les relations entre entreprises filles/ mère, l’accroissement des formes d’entreprises coopératives ou les plateformes d’emploi (uber, deliveroo), les relations entre salariés et entreprises et inter-entreprises évoluent rapidement. Dans le secteur industriel, cette évolution pourrait profiter aux pays de l’OCDE, afin de faire face à la désindustrialisation, en réponse à la demande de plus en plus forte de traçabilité des produits et de respect des standards environnementaux et sociaux.
Cependant, le modèle de l’usine coopérative ou collaborative se fera progressivement. La culture du « faire soi-même » et la propension à rompre avec la division fonctionnelle des tâches depuis la mise en place des chaines de production prendront du temps. Dans ce contexte, les entreprises peuvent faire évoluer le modèle en poussant les logiques intraprenariales. C’est l’une des logiques sous-jacentes au Bricolab. L’accélérateur Axandus, implanté à Beynost dans l’Ain, poursuit cette logique. Fondé par le groupe EFI Automotive, l’accélérateur peut faire bénéficier aux entreprises accompagnées de son réseau et de son savoir-faire.
La CC de Miribel, accompagnée par Ocalia, souhaite déployer une offre complémentaire à Axandus, en proposant notamment une offre immobilière adaptée pour ancrer les emplois générés grâce à la création d’activité d’Axandus sur le territoire. L’implantation d’un lieu totem, qui rayonnera au-delà du territoire, est un des axes retenus dans cette optique. Les fablabs totem feront l’objet du dernier article de cette série !