Lors du meetup EdFab du 31 janvier 2017, Nicolas Bard, cofondateur d’ici Montreuil a proposé une définition du fablab en tant que « structure et équipe dont le rôle principal est d’accompagner ses usagers pour la conception, le prototypage, la fabrication de leur projet. ». Partant de cette définition, il affirme que « La ressource principale d’un fablab, ce n’est pas les machines, ce n’est pas le lieu, c’est les personnes qui sont dedans. ».
Cet article reviendra donc sur les ressources humaines des fablabs : quelles sont-elles, quelles évolutions peut-on observer, quels sont les métiers de demain dans ces tiers-lieux ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons à la fois sur les tiers-lieux visités par les fabbikers, sur des sondages menés par Makery auprès des personnes travaillant au sein des fablabs (2014 et 2017), sur une étude conduite par la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’économie français (2014) et sur les conclusions d’un workshop dédié à la question des ressources humaines au sein des lieux d’innovation centrés utilisateurs animé par Ocalia le 7 février dernier au Lab01 (Ambérieu-en-Bugey) pour le compte d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises ARDI (ex ARDI) .
- La montée du salariat au sein des fablabs
On constate que la proportion de salariés au sein des équipes a augmenté. Ainsi, selon l’étude de la DGE de 2014, 42% des fablabs n’avaient pas de salarié (chiffre confirmé par l’étude Makery de la même année qui indiquait que 50% des répondants au sondage n’étaient pas salariés). Lors du dernier sondage de Makery (53 répondants en France, 20 à l’étranger), 75% des répondants étaient salariés. Parmi les sondés à l’étranger, ce pourcentage n’est cependant que de 45%.
Parmi les tiers-lieux visités par les fabbikers, les équipes sont principalement salariées : 55% fonctionnent sans bénévoles. Dans ce panel, on note par ailleurs qu’il n’y a qu’un exemple d’équipe « mixte », incluant à la fois un salarié et des bénévoles (le bricolab, cf l’article sur les fablabs professionnels). Dans les modèles sans salariés, la tendance est à la co-gestion: on compte ainsi 2 membres de l’équipe pour 10 utilisateurs, contre 3 pour 100 utilisateurs dans le cas d’équipes salariées.
- Des profils qui restent hétérogènes
Malgré ces signes évidents de professionnalisation, les profils dans les équipes des fablabs demeurent très hétérogènes. Leurs formations initiales et leurs expériences passées sont très variables, même si certains domaines sont plus représentés que d’autres. Les secteurs qui ressortent le plus dans les sondages de Makery sont l’informatique, le design, l’industrie, les activités artistiques et l’industrie.
Dans les tiers-lieux visités par les fabbikers en Europe, les étudiants et professeurs en design ou architecture sont un profil récurrent, du fait de la présence dans l’échantillon de plusieurs tiers-lieux « universitaires ». Les profils récurrents sont ceux d’électronicien, de mécanicien, de biochimiste (pour les lieux comprenant une activité de biohacking/ un wetlab/ biolab), d’artiste (en appui, c’est-à-dire au sein d’un réseau de compétences mobilisables ou en tant qu’intervenant occasionnels dans le cadre d’une résidence) et de chargé de communication/ de relations publiques.
- Un développement des fonctions de facilitateur, médiateur ou animateur de communauté
Cette hétérogénéité de profils s’explique d’une part par la jeunesse des fablabs, structures encore récentes ne disposant pas de cursus de formation institutionnalisés : les formations sont ainsi souvent courtes et pas ou peu diplômantes. Parmi celles-ci, citons les diplômes universitaires de l’université de Cergy-Pontoise (Initiation à la fabrication additive, Métier facilitateur, Créer et implanter un nouveau fablab sur son territoire), les modules de la fabacademy, ou encore la formation de 16 jours pour les facilitateurs de tiers-lieux de la Coopérative des tiers-lieux d’Aquitaine.
L’Etat a par ailleurs mis en place le label Grande école du numérique pour reconnaitre les formations destinées à l’insertion professionnelle des publics prioritaires qui visent à répondre aux besoins des entreprises en termes de compétences numériques. Parmi ces formations figurent celle d’entrepreneur maker d’Ici Montreuil, qui sera répliquée à Marseille (d’ici à septembre 2017) et Bordeaux (d’ici la fin 2017). Plusieurs autres formations de fabmanager ou forgeur numérique ont obtenu ce label.
La nouveauté dans le spectre des formations est l’importance croissante donnée à la fonction de facilitateur. Cette évolution s’observe également dans les intitulés des postes des personnes travaillant dans les fablabs. En 2017, les sondés par Makery sont ainsi à 8,6% des responsables de communauté, à 6,9% des facilitateurs, à 4,3% des médiateurs, et à 3,4% des concierges. Alors qu’en 2014, aucun ne se déclarait médiateur.
Ce rôle de facilitateur demande des compétences proches de celles d’un community manager : l’objectif est d’identifier les compétences de la communauté et du réseau pour pouvoir les mobiliser, et ainsi favoriser la construction de projets collectifs ou accompagner les projets des utilisateurs. La citation de Nicolas Bard du début de cet article mérite à ce titre d’être complétée :
- La mise en commun des compétences comme solution à la précarité des fablabs
En tant que jeunes structures, les fablabs sont aujourd’hui en recherche d’un modèle économique. Lors d’un atelier animé le 7 février 2017 par Ocalia pour le compte d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises (ex ARDI) auprès des lieux d’innovation par les usages de Rhône Alpes, un consensus a émergé des échanges sur la précarité des équipes des fablabs. Les structures se professionnalisent et les équipes deviennent salariées, mais sans que les ressources financières permettent de couvrir l’ensemble des besoins. Le changement de statut implique par ailleurs plus de tâches de gestion.
Les fabmanagers sont souvent décrits comme des couteaux suisses ou des “moutons à 5 pattes”. Ces profils atypiques sont nécessaires étant donné le spectre étendu des tâches qu’ils doivent remplir et des faibles ressources dont disposent leur structure : accueil des publics, accompagnement des projets, entretien du parc machine, gestion administrative et financière, formation, prototypage pour des entreprises… Avec des équipes dont la taille moyenne est de 1,3 ETP (DGE, 2014), les personnes sont surinvesties, avec des tensions fortes entre vie privée et professionnelle qui rendent peu viables ce fonctionnement à long terme. Par ailleurs, cela pose la question de la capacité à dégager du temps pour se former sur de nouvelles compétences dans un environnement très changeant. Il est donc nécessaire de trouver des moyens complémentaires pour rendre leur action soutenable.
Plutôt que de chercher à intégrer toutes les compétences requises pour accompagner les projets au sein de l’équipe, la mobilisation plus systématique et désintermédiée des ressources de la communauté des fablabs et du réseau territorial local est une piste de solution. La montée en puissance du rôle de « facilitateur » est peut-être un signe de cette évolution souhaitable : au lieu de chercher des solutions auprès de l’équipe salariée, les utilisateurs sont encouragés à se tourner les uns vers les autres. Les fablab sont en effet des lieux partagés, où les savoir-faire de chacun doivent pouvoir être mobilisés pour avancer plus facilement, plus pertinemment et plus efficacement sur les projets.
Cette mobilisation peut passer par des outils, du type réseau social professionnel sur le modèle de celui développé par le coworking de la Cordée. Documenter les projets et les personnes qui travaillent dessus, à l’instar de la Waag society (cf. notre article sur les lieux totem), est une autre pratique qui facilite la circulation des compétences.
Sur les tâches de support (administratif, entretien courant, ressources humaines, assurances etc.), le fait d’être intégré dans une structure plus importante peut être une solution : un hébergement au sein d’une entreprise comme pour le fablab de Berlin ou le bricolab (cf. articles sur les lieux totem et les fablabs professionnels), peut être avantageux.
L’intégration au sein d’un réseau territorial de compétences est également une clé de succès, qui permet d’alléger les compétences à avoir en interne au sein de l’équipe du fablab. Les fablabs universitaires qui développent des relations avec les enseignants chercheurs, les incubateurs etc., comme Imagine & Make et le fabricarium à Lille (cf. article sur les fablabs universitaires), l’ont bien compris.
Demain, on peut même imaginer qu’à l’instar de la location de voiture ou d’appartement entre pair, les parcs machines des entreprises du territoire viennent grossir les moyens techniques du fablab dans investissement complémentaire.
- Augmenter les ressources des fablabs, comment, pourquoi ?
L’autre solution pour faire face au sous-effectif chronique des fablabs est l’augmentation de leurs ressources. Cette croissance peut venir soit de services plus rentables, soit d’un recours aux ressources publiques.
Les services les plus rentables sont ceux où l’intensité en ressources humaines est la moindre. Il s’agit par exemple du coworking, de la privatisation d’espaces, de la location des machines, des e-shop. Ils nécessitent cependant de trouver un marché, notamment auprès des entreprises locales. Or l’intérêt des entreprises pour ce type de services reste encore relativement faible et nécessite donc des démarches spécifiques : il n’existe pas de demande « spontanée ». Les témoignages d’entreprises ayant fait appel avec succès aux services de fablabs peuvent être une piste pour incarner les apports de ces structures à leur développement.
Le recours aux ressources publiques peut s’envisager sous réserve de démontrer aux acteurs publics les impacts territoriaux de ces différents lieux : relocalisation de l’économie, accueil de nouvelles populations, stimulation de entrepreneuriat local, marketing territorial, etc. Cela nécessite cependant la définition d’indicateurs qui dépassent l’analyse du compte d’exploitation et de la fréquentation du lieu pour aller vers d’autres indicateurs mesurant les impacts indirects et induits de ces lieux sur le développement territorial (emploi, projets collectifs, création d’entreprises, attraction de nouvelles entreprises et populations, …). A l’instar de ce qui avait été fait par Ocalia dans le cadre de la politique d’accueil des télétravailleurs du Pays de Murat, des études d’impact pourraient être menés pour mieux comprendre les retombées de ces lieux.