Le rapport Mille Lieux, signé OuiShare, commence par ces lignes :
Le sujet “ tiers-lieux ” n’est pas nouveau mais il n’a jamais autant fait parler de lui. L’État, via la Mission Coworking, s’en saisit au risque de centraliser un phénomène par essence distribué et ouvert. Les collectivités locales y voient un excellent moyen de revitaliser les centres-villes, au risque de multiplier les coquilles vides.
Est-ce à dire que les acteurs publics ne sont pas légitimes pour intervenir dans l’émergence, la création, le fonctionnement des tiers-lieux ? Ce n’est pas la conclusion de ce rapport, dont on ne saurait que trop vous recommander la lecture ! Ce n’est pas notre opinion non plus. Dans les faits, nous ferons en l’espèce une réponse de normand : ça dépend ! La légitimité des collectivités à agir dans un projet de création de tiers-lieu est directement corrélée aux spécificités de ces « places du village » nouvelle génération. Nouveau mot valise, il faut veiller à bien comprendre ses spécificités…au risque de créer la confusion ou de susciter des espoirs finalement déçus !
Les acteurs publics sont parfois sollicités par des collectifs citoyens ou makers, et on observe sur le terrain des exemples de rencontres réussies entre acteurs publics et privés. C’est par exemple le cas de La Tréso, à Malakoff : le collectif à l’origine du projet a débuté dans un petit local, peu adapté. La communauté a grandi, à tel point que les locaux sont devenus trop exigus. En quête d’un nouveau local, ils rencontrent la mairie, qui dispose d’un bâtiment inoccupé : l’ancienne trésorerie. Un autre projet, cette fois à l’initiative d’une collectivité, illustre la volonté d’une collectivité de se saisir pleinement du potentiel que représente le tiers-lieu pour appuyer le développement d’un territoire : la cité des métiers d’art et du design de Sèvres. Le nom est encore provisoire, mais plusieurs annonces ont été faites par le Département des Hauts de Seine sur ce projet.
Dans les deux cas, une opportunité immobilière : un bâtiment vide, appartenant à la collectivité (où dont elle a l’usufruit), attendant une réaffectation. Mais pas seulement : un projet « hors sol » n’a que peu de sens dans un contexte de développement local tel que nous l’envisageons chez Ocalia. Nous identifions une différence majeure entre un tiers-lieu et les autres types de lieux existants : la dynamique ascendante qui les fait « sortir de terre ». Dans le cas de la Tréso, la communauté pré-existait. Plusieurs réunions publiques ont eu lieu afin de l’étendre, notamment vers les artisans locaux. En effet, la Tréso possède des cellules qui peuvent être occupés par des activités de fabrication. Cette ouverture est voulue par les porteurs de projet, afin de faire bénéficier à ces acteurs de locaux à tarifs abordables en zone urbaine, et de faire bénéficier la communauté du tiers-lieu de leur savoir-faire. Dans le cas de la cité des métiers d’art et du design, le Département nous a confié une mission durant laquelle nous avons mené une enquête : près de 100 artisans locaux ont répondu, en moins de 2 semaines ! L’atelier, organisé peu de temps après, a rassemblé 40 participants. Les propositions pour s’approprier le lieu ont été nombreuses, témoignant de l’engagement desdits participants et d’un début d’appropriation du projet. La visite des locaux organisée à l’occasion de l’atelier a pu aider à ce qu’ils se projettent dans la vie du lieu.
Les collectivités ont donc toute légitimité dans ce cas : non seulement elles agissent dans le cadre de leurs compétences, mais en plus, elles ont réussi à trouver leur place au sein du projet, sans imposer leur vision. Il s’agit d’une rencontre entre des personnes représentant des structures et des intérêts qui doivent être compatibles, afin de donner son « âme » au projet de tiers-lieu.
Toutes les collectivités ne trouvent pas facilement la posture à adopter : le tiers-lieu est parfois encore trop perçu comme un « équipement ». Dans ce cas, le risque est de proposer aux utilisateurs une offre « packagée » sans tenir compte de leurs besoins, et sans possibilité de s’approprier le projet, son offre, le lieu etc. Or c’est bien l’une des spécificités du tiers-lieu : passer d’une posture de « client » à une posture d’acteur du projet. C’est l’un des impacts espéré dans beaucoup de projets de tiers-lieu : l’encapacitation, l’esprit d’entreprendre au sens large, l’autonomisation.
Ce changement de posture implique également que la collectivité accepte de « perdre » un peu le contrôle du projet de tiers-lieu. Certaines recherchent sciemment à « passer la main » progressivement : le Manche Lab, porté par le SM Manche Numérique, visait par exemple dès le départ à soutenir la création de fablabs « en dur » porté par des acteurs privés en proposant un fablab mobile, permettant de tester des usages et d’en imaginer le sens dans des contextes locaux spécifiques. L’objectif est aujourd’hui rempli : au moins 2 fablab ont vu le jour sur le département, avec des acteurs privés. Alors même que les marges budgétaires des acteurs publics s’amenuisent, notamment pour les frais de fonctionnement et donc d’animation, cet investissement de la société civile semble plutôt opportun, vous ne pensez-pas 😉 ?
Ces partenariats public-privé illustrent là encore la légitimité des collectivités à agir en soutien, voir en instigatrices de tiers-lieux réussis. Cependant, attention à ce que les tiers-lieux ne soient pas dénaturés et ne deviennent pas une simple « mode », mais demeurent un des catalyseurs de transition de la société vers un nouveau modèle économique, social et environnemental. Chez Ocalia, nous avons la conviction qu’il n’existe pas de tiers-lieu « sur étagère ». Certains lieux se revendiquant comme tels relèvent davantage de modèles théoriques plaqués artificiellement, ou de copier/ coller d’un territoire à un autre. La « tendance » du tiers-lieu peut faire craindre l’arrivée d’acteurs proposant des modèles « testés et approuvés » qui ne sont finalement que des produits industriels loin de correspondre à la définition d’un tiers-lieu. Chez Ocalia, nous défendons une vision des tiers-lieux : ceux qui sont adaptés à leur territoire et aux objectifs que se sont collectivement fixés les acteurs du projet.
D’où l’importance de se poser les bonnes questions dès le départ : quels sont les objectifs que nous poursuivons ? Dans quel but sommes-nous rassemblés autour de ce projet ? Comment atteindre les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés ?
Il existe encore malheureusement peu d’études d’impact des tiers-lieux sur leurs territoires d’implantation, qui permettraient de prendre du recul par rapport à ces questions. La mission qu’Ocalia mène actuellement avec ses partenaires Terre d’Avance et Econum vise à apporter des éléments de réponse à ce sujet. L’enquête auprès des gestionnaires de lieux (118 répondants en France) et les 35 entretiens menés auprès d’eux nous a déjà permis d’avoir un éclairage plus précis sur ces questions. L’enquête auprès des utilisateurs des ateliers de fabrication numérique (fablab ndlr) devrait permettre de confronter la vision des gestionnaires au ressenti des utilisateurs, et donc à partir de là de dégager des pistes concrètes pour les acteurs souhaitant monter un fablab : que peut-on espérer d’un fablab ? Quelle offre, quels réseaux, quelle organisation mettre en place pour quels impacts en définitive ? Notre approche est résolument compréhensive : au lieu de « plaquer » un modèle d’analyse, nous cherchons à comprendre ce que les acteurs visaient comme impact, quels moyens ils ont mis en œuvre pour le faire, pour quels résultats in fine.
Nous n’avons pas la prétention avec cette étude de fournir une recette « miracle », ou des solutions « sur étagère ». Mais d’aiguiller pragmatiquement les porteurs de projets éveillés sur les tiers-lieux et ce à quoi ils peuvent servir. C’est notre but à nous 😉
Alors non, chez Ocalia, nous ne vous dirons pas qu’il vous faut absolument un tiers-lieu. Mais fort de plus de 20 ans d’expérience et de 100 tiers-lieux accompagnés, nous serons à vos côtés pour vous aider à définir VOTRE tiers-lieu. Car nous savons différencier un tiers-lieu des autres dispositifs de développement local existants. Et nous pensons que oui, les collectivités sont légitimes pour agir dans les projets de tiers-lieux.
Nous nous trouvons dans un contexte global de remise en cause (ou d’essoufflement) des instances de démocratie représentative. Après les polémiques autour de Notre Dame des Landes malgré l’organisation d’un référendum, alors que l’actualité reste en partie tournée vers le mouvement des gilets jaunes qui s’expriment dans la rue pour réclamer plus d’écoute, dans une France où 50,12% de participation aux européennes est une « bonne surprise », alors même que la participation aux réunions publiques obligatoires organisées autour des grands projets est souvent décevante pour les organisateurs, et que les candidats aux élections municipales se font rares… nous pensons que les collectivités locales ont une carte à jouer ! En effet, les maires restent les élus « préférés » des français, ceux dont la côte de confiance est la plus élevée (Baromètre de la confiance politique, vague 10, p 28) . Car c’est dans la relation de proximité, la plus humaine, que la confiance se construit le plus facilement. C’est au niveau local que les choses avancent le plus concrètement et le plus visiblement pour les citoyens et les acteurs locaux (entreprises, associations…).
Les tiers-lieux, du fait de leurs spécificités (hétérogénéité des profils, mouvement ascendant, autonomisation…), peuvent faire partie des outils de renouvellement du dialogue entre acteurs publics et privés, de prise de décision collective, pour l’intérêt général. Les collectivités locales ont donc à notre sens toute légitimité pour agir dans les tiers-lieux sur leur territoire : elles peuvent contribuer à offrir un cadre de confiance entre les partenaires, autour d’objectifs collectivement définis. Nous rejoignons en cela l’analyse de OuiShare lors de la restitution du rapport Mille Lieux à Bagnolet le 17 avril dernier.